Dominik Schlumpf : joueur de hockey sur glace chez EVZ tout à fait personnellement comme artiste

06.02.2023
Cécile Fuchs

Nous avons pu nous immerger dans l'atelier de Dominik. Il nous a emmenés dans son monde d'expérimentation, ce qui a donné lieu à une magnifique conversation sur les parallèles entre le sport et l'art. Lisez vous-même. Vous trouverez des vidéos de la visite sur Instagram et Facebook.

À peine arrivés à l'atelier, les échanges commencent déjà. Rien d'étonnant à cela. Les couleurs, les tableaux accrochés aux murs ou posés sur le sol, 1000 questions fusent dans l'air !

C : Dominik, quel est ton coin préféré dans l'atelier ?

D : Il est avec les matériaux, avec les farines de pierre. Mon instrument préféré est la spatule. Il me permet d'appliquer des couleurs, des pigments et différentes farines de pierre, de gratter le support pour créer un effet de profondeur en grattant la farine de pierre. J'ai tout appris par moi-même. J'ai appris dans les livres. Je n'ai jamais fréquenté d'école d'art ni suivi de cours. Je suis autodidacte et j'apprends en expérimentant. J'utilise par exemple de la poudre de pierre. Puis le marc de café comme support, la poudre de marbre par-dessus. Le marc de café se prête bien à l'extraction de l'humidité et à l'apport de couleur. C'est ainsi que se forment des fissures extrêmes dans la poudre de pierre. Avec la poudre de marbre, cela ressemble alors au bouleau dans la nature. Avec la spatule, je gratte, je détruis. Cela aussi simule l'écorce de bouleau/la fissure des fibres.

C : As-tu un rituel dans ton travail artistique ? Ou est-ce que tu arrives à l'atelier, tu fermes la porte et tu commences ?

D : Je ne suis pas tous les jours à l'atelier. Nous avons six entraînements par semaine, plus deux ou trois matches. Le dimanche est notre jour de repos. Selon la charge de travail, le mercredi est plutôt un jour plus léger avec de la musculation sans glace. Si j'ai le temps, je vais à l'atelier après l'entraînement. Je peux alors me consacrer entièrement à l'art et je me plonge totalement dans mes tableaux. Comme je ne vais pas à l'atelier tous les jours, je sais quelles idées je veux mettre en œuvre et je brûle de les réaliser. Je vois cela comme un avantage, si j'ai le temps, j'y vais et je commence tout de suite à travailler.

C : La volonté et le contrôle de soi sont deux forces essentielles que l'on doit avoir en tant qu'artiste, mais aussi en tant que sportif. Pour ces deux domaines, la formation et l'entraînement sont importants. Sven Güldenpfennig (scientifique allemand du sport) cite quatre points sur ce qu'est le sport. L'un d'entre eux est le suivant : le sport est axé sur la performance - il aspire à l'excellence, à la perfection, à l'accomplissement. Comment et où vois-tu cela dans ton art ?

D : Dans mon art, je vois plutôt la perfection dans l'imperfection. Tout ne doit pas être peint à la perfection. C'est l'imperfection qui fait mes œuvres. C'est dans l'imperfection que réside la beauté.

C : Le deuxième point de Güldenpfennig est le suivant : le corps est le médium. Le corps a des limites. On veut toujours plus, toujours plus. Et tu as dit un jour que la créativité n'avait pas de limites. Es-tu à la recherche d'un défi ou de l'inconnu ? Es-tu toujours à la recherche de nouveautés ?

D : Oui, absolument. Je suis toujours ouvert à la nouveauté et toujours à la recherche de certaines choses que je ne connais pas encore et que je peux ensuite essayer sur un papier, pour voir comment cela se produit et comment je peux ensuite le transposer sur la toile.

C : Quel est le rôle de ton corps dans ton œuvre ? Dans le sport, il est un outil et un élément central. Dans ton art ?

D : Non, mon corps est peu sollicité. Je ne ressens pas non plus de fatigue lorsque je travaille sur un tableau, même si cela dure parfois quatre, cinq ou six heures. Je suis alors aussi dans un autre monde. La fatigue ne vient éventuellement que lorsque je rentre chez moi le soir.

C : Tu oublies aussi le temps sur la glace.

D : Oui, absolument, c'est exactement la même chose pendant les matches. Tu ne te rends pas compte de ce qui se passe autour de toi, c'est comme si tu étais dans un tunnel, tu ne te concentres que sur le jeu, sur ce que tu dois faire, tu oublies aussi tout ce qui se passe autour.

C : Quelle est la dernière chose que tu as découverte ?

D : C'est ce que l'on voit maintenant sur les photos. C'est sur eux que je travaille en premier lieu. De la poudre de pierre, du sable, du carton, puis j'essaie de faire naître l'effet de profondeur. Pour rendre visibles toutes les couches des images. Mais je n'ai pas encore découvert quelque chose de super nouveau. Ou alors je redécouvre des choses. J'ai déjà travaillé sur une série de volets. J'y ai travaillé avec du papier et j'ai ainsi reproduit les volets. 

 

 

C : C'est ta marque de fabrique : Nous tromper en tant que spectateurs. Lorsque l'on pense avoir compris ton œuvre, on se rend compte que c'est faux.  Caillois, un sociologue français, établit dans une théorie des jeux cinq lois d'un jeu. L'une d'entre elles est le mimétisme, la ruse, le jeu, le masquage. Je le vois très bien chez toi. Tes œuvres sont irritantes, cela ressemble à quelque chose de précis, mais c'est trompeur. On dirait de l'écorce ou du métal qui s'oxyde. Au lieu de cela, tu prends de la poudre de fer et tu passes ensuite de l'oxydant dessus.  Une autre loi est que l'issue du jeu est toujours imprévisible. Le hasard joue un rôle important. Quel genre de personne es-tu quand tu es sur la glace ? Es-tu plutôt réservé(e) ? Ou bien es-tu prudent et gardes-tu une vue d'ensemble ?

D : Je pense certainement cela aussi, oui, mais je me mets aussi entièrement au service de l'équipe et je suis un travailleur acharné sur la glace.

C : Cela signifie que tu te dissous, qu'il n'y a plus de Dominik en tant qu'individu et que tu te donnes au jeu, là où il a besoin de toi.

D : Exactement, l'objectif est certainement toujours de savoir comment je peux aider au mieux l'équipe, et que l'équipe obtienne le succès et que nous soyons forts en tant que groupe pour pouvoir atteindre l'objectif. Je me mets entièrement au service de l'équipe. Chacun a son rôle, et si chacun accepte son rôle et l'exerce parfaitement, il se peut que l'on obtienne le succès à la fin de la saison ou que l'on atteigne ses objectifs.

C : Et toi, en tant qu'artiste individuel, sans être membre d'un groupe d'artistes, même seul dans ton atelier ? Quels avantages en retires-tu ?

D : J'aime beaucoup ce calme. Quand je peins, je n'écoute pas non plus de musique. Il faut que ce soit calme pour que je puisse me concentrer sur ce que je suis en train de faire, pour que je puisse aussi laisser libre cours à mes idées. Ici aussi, je suis très calme.

C : Tes photos sont-elles tes coéquipiers ? Ou est-ce que tu es le chef ici ?

D : Je ne dirais pas ça comme ça. Il m'est arrivé de vouloir laisser agir les choses, de dormir une nuit dessus et de les voir complètement différentes le lendemain. Mais j'ai fini par l'aimer. Le hasard a joué son rôle et j'ai laissé les choses en l'état. Et d'un autre côté, j'ai corrigé d'autres choses qui ne me plaisaient pas.

C : Le hasard est un grand facteur dans l'art mais aussi dans le sport. Dans l'art, il peut être un élément positif, dans le sport, c'est plutôt quelque chose avec lequel il faut compter.

D : C'est justement ce qu'on ne peut pas prévoir dans le sport, il faut essayer de garder son calme et plus on joue, plus on devient routinier. On a ainsi une réponse à des choses inattendues. Je peux reprendre en partie la même chose dans ma peinture, y compris le fait de "rester calme" et de s'exercer à la patience. Au début, j'étais aussi impatient avec les matériaux, car je devais d'abord découvrir comment ils fonctionnaient. Par exemple, avec cette poudre de marbre, j'ai voulu continuer à la traiter trop tôt, parce que j'avais justement l'idée. Mais elle n'était pas encore bien sèche et ne correspondait pas à ce que je voulais. Elle ne pouvait pas tenir correctement sur la toile. J'ai dû apprendre à être patient et à le laisser reposer une nuit avant de le retravailler.

C : D'où te viennent tes idées ?

D : Je trouve souvent l'inspiration lors de longs trajets en bus, quand nous allons voir des matches. Elle me vient en regardant par la fenêtre, en vagabondant, elle peut compléter des œuvres déjà existantes ou donner naissance à de nouvelles idées.

C : L'art peut être efficace en tant qu'instance de connaissance. Le hockey/le sport peut-il en faire autant ? Hans Georg Gadamer (philosophe allemand) désigne le jeu comme une expérience artistique. "Le jeu a une essence propre, indépendante de la conscience de ceux qui jouent". Le jeu devient une œuvre d'art par sa transformation en structure et ce qui est désormais le vrai permanent, l'expérience du spectateur. Ainsi, une fois le jeu terminé, tout est comme avant, ce que voulait également dire Caillos. Ce sont donc les spectateurs ou les observateurs qui font du jeu ou de l'œuvre ce qu'il est. Que souhaites-tu pour tes œuvres ?

D : Je suis ici très humble et j'aimerais que le spectateur ou la spectatrice prenne plaisir à l'image toute sa vie et transmette les sentiments qu'il/elle a ressentis en la regardant. C'est ce qui me procure le plus de plaisir.

C : Merci beaucoup pour ton temps et ta confiance.

 

Remarque : la rouille est aussi une forme d'autoprotection. Elle imprègne l'œuvre de Dominik. Mais il la laisse rouiller et l'arrête à nouveau. Comme il le sent. Suis-je le seul à voir des parallèles avec son jeu ? C'était une conversation merveilleuse.