La rencontre avec l'art. Une rencontre avec nous-mêmes ?
Quels sont les effets de la rencontre avec l'art ?
Ce texte d'introduction doit servir de base de réflexion pour ton propre récit d'expérience. Nous y aborderons la compréhension vague, ambivalente, toujours discutable et dépendante de l'évolution du temps de ce qui fait qu'un objet d'art est de l'art, afin de comprendre pourquoi la rencontre avec l'art nous touche.
La rencontre avec l'art a toujours fait l'objet de débats philosophiques. Chez le philosophe Emmanuel Levinas, elle a joué un rôle ambivalent. La plupart du temps, il y voyait une relation insuffisante. La rencontre avec elle manque d'immédiateté, contrairement à la rencontre avec un autre (cf. Stähler 2007). Car il existe déjà une relation duale dans la réalité ; ce qui est la réalité et ce qui lui est étranger. L'art n'exprime cette relation que comme son ombre et nous échappe ainsi. Pour Levinas, il ne peut jamais capturer la "réalité" et reste donc sans avenir, puisqu'il ne fait que répéter le passé (cf. Stähler 2007). Est-ce justifié ou Levinas a-t-il négligé quelque chose ? Car il est probable que la vérité entière n'apparaît dans aucun phénomène de la réalité. L'art ne montre-t-il pas justement, par son absence, la diversité des perspectives et des aspects possibles de la réalité ? Est-ce là le parallèle entre la rencontre de l'homme et de l'art et celle entre les hommes ? Et la rencontre avec l'art ne peut-elle pas même nous rapprocher de certaines de ces "vérités", dévoiler des réalités et nous fournir des réponses éthiques ? En effet, Levinas reprochait aussi à l'art de ne pas posséder d'éthique. Ainsi, lors de la contemplation de quelque chose d'horrible, le caractère esthétique de l'art ne ferait qu'embellir l'horreur, c'est-à-dire la minimiser. De même, l'évasion dans un autre monde par le biais de l'art est pour lui quelque chose de négatif, car nous n'y réfléchissons pas, mais nous nous émerveillons seulement de la beauté. Est-ce vrai ? Une œuvre d'art ne peut-elle pas aussi nous ébranler, révéler des choses et nous faire réfléchir ? Et l'art est-il vraiment uniquement lié au passé ?
L'"aura" de l'art
Lorsque nous parlons d'art, son "acte de création" est toujours lié à une forme ou à un médium, comme la peinture, la sculpture, la photographie, le cinéma, le graphisme, l'écriture, le langage ou d'autres formes d'apparition imaginables. Mais qu'est-ce qui fait de l'art un art ? Après tout, des objets quotidiens "normaux" sont également produits en permanence. Pour cela, nous faisons appel à Walter Benjamin (1892-1940), qui a introduit le terme d'"aura". Ce mot doit exprimer le fait que l'œuvre d'art possède quelque chose d'unique et d'authentique. Mais ce quelque chose est difficile à saisir, c'est pourquoi le terme est redouté dans la toute jeune discipline de l'histoire de l'art, notamment parce que Benjamin n'a pas vraiment défini l'aura. On peut toutefois trouver des parallèles entre Benjamin et Levinas dans ce caractère voilé/ombragé de l'aura. Comment l'aura est-elle créée lorsque nous regardons l'art, ou plutôt qui ou quoi la crée ? Benjamin a exploré l'aura dans son essai "Kleine Geschichte der Photographie" (1931). C'est quelque chose de non linguistique qui est transposé dans le monde d'ici, quelque chose qui transcende "l'ici-bas" vers "l'au-delà" :
"Qu'est-ce que l'aura ? Une étrange toile de l'espace et du temps : l'apparition unique d'un lointain, aussi proche soit-il. Se reposer un midi d'été en suivant une chaîne de montagnes à l'horizon ou une branche qui projette son ombre sur l'observateur, jusqu'à ce que l'instant ou l'heure participe à son apparition - c'est respirer l'aura de ces montagnes, de cette branche". (GS II, 387)
L'"étrange toile" est donc dépendante de l'"espace" et du "temps" et constitue de ce fait un moment éphémère. Cela n'exclut toutefois pas l'ici et maintenant. Le mot vient du grec et signifie "souffle", "courant d'air", "vent". L'aura a donc un effet ou un rayonnement perceptible. Cet invisible, Benjamin le transpose dans la représentation imagée et visible (imago) par la description de ce qu'il voit, en l'occurrence la nature. Outre le langage, la vision participe donc également à ce que Benjamin appelle l'aura. La tension vient donc du fait que l'aura invisible est liée dans toute son expérience aux conditions de perception et fait partie intégrante du monde visible. Les moments d'aura sont transmis, communiqués, reproduits et donc expérimentés par le langage. L'aura est ainsi liée à notre cognition, elle peut ainsi glisser de "l'au-delà" vers "l'ici-bas" et devient une expérience unique à laquelle l'homme peut ouvrir son regard.
La "définition" vague de Benjamin a l'avantage d'ouvrir la notion d'aura et de lui donner la possibilité d'être beaucoup de choses. Ainsi, il attribue également une aura à l'inanimé, qui devient perceptible par le regard. Oui, c'est justement par le regard que se produit un moment où l'objet est animé et s'éveille, un moment où le sujet qui regarde attribue à l'objet un regard en arrière. Même si l'objet n'a pas de "conscience", il possède manifestement quelque chose qui agit en retour et devient ainsi un sujet. Peut-être parce que le sujet qui regarde se reflète dans l'objet. L'aura est donc une expérience qui est certes liée à un objet, mais qui ne peut jamais être totalement identifiée. C'est justement cette distance qui crée un sentiment. L'homme prend conscience de l'inaccessible en le regardant, peut-être aussi de l'énigme inaccessible de son propre moi ? L'œuvre d'art possède donc quelque chose de religieux, car elle n'est jamais tout à fait tangible, jamais identifiable, mais elle est toujours liée à la perception et à la réalité du sujet, ainsi qu'à son imagination et au processus intra-subjectif.
Un souffle d'outre-tombe
L'expérience (artistique) est ainsi le résultat d'une interaction, un dialogue entre l'homme et son environnement. L'un ne peut pas naître sans l'autre. Le dialogue se place dans un espace intermédiaire, entre le toi et le moi ou entre le toi et le ça, qui est maintenu par la séparation physique. La réaction déclenchée chez l'autre et chez nous oblige à l'examen de soi, à la réflexion, à l'introspection. L'être humain y trouve aussi une confirmation, dans la mesure où quelque chose le touche, que ce soit physiologiquement ou psychologiquement. Le recul dans les pensées, la prise de distance, est nécessaire pour que nous puissions porter un nouveau regard sur quelque chose, un peu comme un mouvement de pendule (Martin Buber). Pour que quelque chose puisse nous toucher, la croissance de la confiance et de l'intimité à travers le temps et les expériences est nécessaire. Dans ce processus, nous nous approchons de la complexité de l'énigme permanente et sans fin. Il y a donc un potentiel dans la rencontre, quelque chose émerge, une possibilité est explorée. De même, le fait de supporter certains sentiments, en particulier celui qui résulte de l'inévitable distance, nous permet de reconnaître l'énigme et alimente en même temps le désir de l'explorer.
Nous avons ainsi tenté de déterminer d'où viennent les émotions lorsque nous regardons l'art. Le rapport entre distance et proximité, notre corporalité, la cognition, notre regard et nos sens semblent être décisifs. Et c'est là que le parallèle avec la rencontre interpersonnelle devient clair, lorsque nous regardons l'art, qui a été insufflé dans l'œuvre d'art par l'expérience de l'artiste, qui est à son tour reçue par l'autre : "Rencontrer un homme, c'est être tenu en éveil par une énigme", écrivait Levinas avec justesse. Une autre personne est entourée de quelque chose que nous ne pourrons jamais comprendre complètement en tant qu'interlocuteur, cela reste dans l'ombre, exactement comme le concept d'aura de Benjamin. Mais selon Levinas, l'art est-il pour autant sans avenir ? Car les sentiments et les émotions semblent perdurer dans le temps et peuvent même nous affecter d'une nouvelle manière. C'est justement en cela que nous nous préoccupons de l'avenir, ce qui l'influence. L'être de l'objet renvoie d'une part au passé, mais s'échappe aussi constamment de l'essence de l'objet. Ainsi, le mouvement de l'être est également tourné vers l'avenir. La distance incompréhensible existe donc dans les deux sens. Cette énigme autour de l'essence d'un objet/de soi n'est pas représentable, mais elle ne naît que de la rencontre avec l'autre ou avec l'œuvre d'art. L'ombre, la trace de l'être, c'est l'œuvre d'art et c'est justement pour cela qu'elle nous touche. Cela semble également être notre motivation à produire de l'art et à nous laisser toucher par la rencontre, à expérimenter les facettes de l'énigme, même si quelque chose nous échappe toujours.
Que déclenche donc la rencontre avec l'art ? Nous nous réjouissons de tes réflexions, peut-être aussi de tes compléments ou peut-être aussi d'une contradiction de ces interprétations à compléter.
Glossaire :
Imago : Le mot vient du latin et signifie "image", "représentation".
Cognito : Le mot vient du latin et signifie "connaissance".
Réciproque : Le mot vient du latin et signifie "réciproque".
Ambiguïté : le mot vient du latin et signifie "ambiguïté". Un signe peut donc avoir plusieurs significations.